
Marche des jeunes pour le climat
Les réactions se multiplient après une récente étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) concernant le rapport des 18-30 ans à l'environnement. Sa conclusion ? Un décalage entre la préoccupation affichée par ces jeunes et leurs habitudes réelles de consommation.
De véritables évolutions sont à l'½uvre
Arnaud Gossement
Avocat spécialisé en droit de l'environnement, enseignant à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le niveau de conscience écologique est très élevé chez les 18-30 ans. Il se situe, selon les études, entre 5 et 10 % au-dessus de la moyenne française. Et cela va au-delà du fait d'être informé : les jeunes ont conscience de la gravité du dérèglement climatique et de la responsabilité humaine dans les changements à l'½uvre. Et ce quelle que soit la catégorie sociale.
Cela se traduit-il dans les comportements ?
La réponse est oui. De véritables évolutions sont à l'½uvre, comparé aux générations précédentes. Mais il faut apporter deux nuances. D'une part, les jeunes les plus mobilisés pour l'environnement sont souvent issus de milieux favorisés, avec un bon niveau d'études.
Il existe donc des disparités dans la catégorie « jeunes ». D'autre part, en France, ces derniers quittent le nid familial plus tard qu'ailleurs (à presque 24 ans en moyenne, selon le Crédoc, NDLR). Leurs modes de vie sont donc parfois tributaires de ceux de leurs parents.
Ces éléments clarifiés, les comportements des 18-30 ans ne sont pas ceux de leurs aînés.
Regardez leurs habitudes de consommation. Certes, ils déclarent aimer consommer mais, plus que la moyenne, ils recherchent des produits d'occasion et durables en privilégiant la location, l'emprunt, le troc, etc.
Il y a bien une rupture avec un modèle de consommation hérité des Trente Glorieuses, tourné vers le neuf et le jetable. Ensuite, ils recherchent du sens, dans leurs études et leur futur métier.
À l'université, je suis frappé par l'engouement des étudiants pour les filières liées à l'environnement – une tendance que confirment mes collègues, ailleurs en France.
Les jeunes veulent se former à l'écologie, comprendre, être partie prenante.
Quant à leurs usages du téléphone et du numérique, souvent brocardés, soyons là encore plus fins dans l'analyse.
Il est injuste de comparer le comportement de générations ayant commencé leur carrière professionnelle sans mobile et sans Internet et celui de jeunes, qui sont nés avec.
En outre, certains réflexes renvoient à un manque d'information sur l'impact carbone du numérique.
Mieux informés dans ces domaines, les 18-30 ans bougeront, j'en suis convaincu.
Regardez le rapport à la voiture ! En dépit des nuances que l'on peut apporter, notamment là où il n'y a pas d'alternative, l'identification à ce qui fut longtemps un symbole de réussite n'est plus du tout la même.
En fin de compte, je trouve les jeunes très courageux. Bien loin de sombrer dans le fatalisme, auquel pourrait les inviter un discours très « dépressif » sur l'environnement, ils avancent, militent et se retroussent les manches. Chapeau !
Recueilli par Marine Lamoureux
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La culture jeune est consumériste par essence
Olivier Galland
Sociologue (1)
Les études montrent que l'inquiétude écologique est désormais très partagée par les jeunes, mais que ceux-ci restent en retrait dès lors qu'il s'agit de changer de comportement. Il existe donc un fort décalage entre leurs inquiétudes et leurs pratiques.
Ceci n'est pas très surprenant. La culture jeune est consumériste par essence, car elle est fondée sur l'apparence et l'hédonisme.
Les jeunes d'aujourd'hui comme ceux d'hier veulent sortir, voyager, prendre du plaisir, etc. Tout les y pousse d'ailleurs, à commencer par les études qui les emmènent de plus en plus loin et donc à prendre des avions qui polluent et à donner des nouvelles par des smartphones anti-écologiques. Ce mode de vie propre à cet âge n'est donc pas, en lui-même, très compatible avec l'économie d'énergie ou la réduction de la consommation.
Toutefois, il y a désormais plus de différences sur ces questions au sein de la jeunesse elle-même qu'entre les générations.
L'écologie fait indéniablement partie des valeurs post-matérialistes qui font consensus, toutes générations confondues. Il faut bien voir que nous ne sommes plus du tout dans les années 1960 où la jeunesse cherchait à faire reconnaître sa propre culture en se démarquant de la génération précédente.
Désormais, entre 18 et 60 ans, la majorité des gens partagent les mêmes valeurs, dont la protection de l'environnement fait désormais partie.
À l'inverse, la jeunesse est divisée. Par exemple, il n'y a pas grand-chose de commun entre les lycéens qui marchent pour le climat à la suite de Greta Thunberg et d'autres du même âge, qui n'ont pas fait d'études, sont en recherche d'emploi et donc très loin de ce type de préoccupations. Le fait d'être mobilisé, de participer à des manifestations est très fortement corrélé au niveau d'études, mais aussi au bain familial dans lequel on est élevé.
Plus on est formé, plus on a eu le modèle de l'engagement dans la famille, plus on bénéficie d'une ouverture culturelle qui permet de s'intéresser à des questions plus larges que soi-même.
On cite par ailleurs souvent le vote des jeunes en faveur de l'écologie mais, là aussi, il faut en relativiser la portée : certes, les jeunes qui ont voté à la présidentielle ont voté plus « vert » que le reste de la population... mais beaucoup n'ont pas voté.
Le poids du vote écologiste n'est donc pas plus important parmi les jeunes que dans le reste de la population quand on inclut l'abstention.
Je ne suis pas sûr, donc, qu'il faille compter sur la jeunesse dans son ensemble pour renverser la table. En sociologie, il y a d'ailleurs une loi qui veut que les changements sont toujours très lents et que les ruptures générationnelles souvent très surestimées. Tout cela prendra du temps.
Recueilli par Emmanuelle Lucas
(1) Il a notamment contribué à l'ouvrage collectif Les Valeurs des Français, dirigé par Pierre Bréchon, Armand Colin.
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