

Série Masaï - Guerrier débout (détail) - Sculpture © Ousmane Sow - Photographie © John Marcus




Le sculpteur sénégalais de 81 ans est mort le 1ᵉʳ décembre 2016 à Dakar.
Grande figure de l'art contemporain africain, il laisse derrière lui des géants sculptés, pétris d'humanité.
Il est né et mort dans la ville de Dakar au Sénégal, qu'il a souvent quittée pour travailler ou exposer ,mais où il est toujours revenu.
Ousmane Sow est décédé jeudi 1er déc. 2016, à l'âge de 81 ans.
Il en avait déjà 63 lorsque le public français l'a largement découvert.
« On frôle l'émeute sur le pont des Arts » le 7 avril 1999.
À Paris, sur la passerelle enjambant la Seine, le flot des curieux ne tarissait pas, certains venant à quatre heures du matin pour rencontrer dans l'intimité l'œuvre du sculpteur.
Lutteurs noubas, guerriers massaïs, familles peules... Ses géants aux yeux graves et gestes concentrés réduisaient au silence. Quelle intensité dans ces visages creusés de ridules, ces corps absorbés dans le travail et les rituels !
Avec cette rétrospective, Ousmane Sow avait déplacé plus de 3 millions de personnes.
L'homme s'était réjoui, en mots toujours simples et soigneusement choisis, qu'elle se déroule sur « un pont mythique », que les artistes avaient chanté et les amoureux élu.
Il ne raffolait pas du cadre chic et feutré des galeries et des biennales, ni des cocktails et des vernissages.
Lors de son 70e anniversaire, célébré en 2005 à l'Atelier Picasso, ses petits-enfants, jouant une saynète pour raconter leur grand-père, révélaient même que ces mondanités lui
« cassaient les pieds ».
« Il travaillait bien à l'école ? », avait demandé Aïda à Alioune.
« Pas du tout (...). Mais il avait taillé une petite sculpture dans du granit que l'instituteur avait placée sur l'armoire.
Et il se disait que quelqu'un qui a sa sculpture sur l'armoire ne peut pas être nul... »
Né en 1935, Ousmane Sow ne rêvait cependant pas de devenir artiste.
Il n'est pas passé par une école d'art, mais par le métier de kinésithérapeute, qu'il a exercé pendant
une douzaine d'années en France et au Sénégal. Il a tiré de cette première carrière une connaissance
très fine de l'anatomie. « Je peux me bander les yeux et faire un corps humain de la tête aux pieds », affirmait l'artiste, qui sculptait sans modèle.
En même temps, il répétait que « la kinésithérapie (l'avait) sauvé du corps parfait ».
Il ne craignait pas, dans sa sculpture, d'exagérer les torsions, les expressions – cette foule de petits mensonges accouchant d'une plus grande vérité.
Sa sculpture même évoque d'abord ce premier geste de soin et de préservation.
Sur des armatures, il posait des bandelettes enduites d'un produit – sa signature – dont la recette n'était connue que de lui et de son assistant.
En 2004, il confiait à La Croix, qui lui rendait visite au « Sphinx », sa maison à la périphérie
de Dakar : « J'achète du matériau noble, mais ça ne colle pas.
Ce qui marche, ce sont les choses que je fabrique moi-même, des choses qui macèrent très longtemps. C'est surtout le temps qui a de l'importance là-dedans.
Là, je travaille avec un fluide dont la “mère” date de 1987. »
Que sculptait-il ? Des hommes.
Des géants (lui-même en était un, avec son 1,95 mètre), pour « rappeler leur dignité et leur grandeur ».
Certains lui inspirent une admiration particulière. À son panthéon d'hommes et de femmes, il
consacre une série de sculptures monumentales, intitulée Merci.
Parmi eux, Victor Hugo et Charles de Gaulle. Les pétrir apposait un baume sur son coeur parfois accablé par les manquements politiques, « l'immigration de misère » qu'il constatait vers l'Europe et la crispation de celle-ci.
Il voulait aussi sculpter son père.
Dans cet homme strict et libre-penseur, perdu quand il avait 21 ans, il avait puisé « une énorme confiance ».
S'il a longtemps vécu en France, il n'avait pas voulu la double nationalité, par fidélité à son identité sénégalaise. Ceux qui le comparaient à Rodin lui inspiraient ce commentaire : « Comme si tout commençait avec l'art occidental.
Il y a des gens qui ne peuvent pas concevoir qu'à 6 000 kilomètres de chez eux quelqu'un puisse inventer sa propre sculpture. »
En 2013, il devenait le premier Africain à rejoindre l'Académie des beaux-arts française en tant que membre associé à l'étranger, dédiant son prix à « l'Afrique tout entière ».
Le ministre sénégalais de la culture et l'Élysée ont, hier, salué sa mémoire.
Mais l'hommage que l'artiste chérissait le plus était celui des anonymes qui le remerciaient
pour la force et la tendresse de son oeuvre.
Marie Soyeux
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